LAMIV Chr16

@lamivchr16 est un homme de 57 ans, en rémission d’une leucémie Myéloïde Aigüe IV, après une récidive ayant nécessitée une greffe de moelle.

Merci @lamivchr16 de nous raconter ton histoire

Instagram : @lamivchr16

 

Quelle était ta vie, avant, le Cancer ?

Je travaillais dans le secteur public régional bruxellois avec un poste de chef de projets informatiques. Père de deux enfants, un garçon né en 1999 et une fille née 2001.

Le bien-être de ma femme et de mes enfants étaient mes grands sujets de satisfaction dans la vie. Avoir une vie de famille heureuse. J’aimais aussi être avec mes amis, voyager, lire, cinéma, théâtre. Aller à la rencontre des gens. 

 Comment as-tu découvert ton Cancer ?

Fin 2010, j’ai 48 ans. Je me sens fatigué et vite essoufflé. Je me rendais régulièrement à vélo au travail. J’ai eu l’occasion d’accompagner une collègue que je ne parvenais pas à suivre à vélo. La fatigue ne cesse pas. Pour monter des escaliers je suis très vite essoufflé. Comme on est entre Noël et Nouvel-an, ma médecin n’est pas là et je tombe sur une médecin qui me conseille du repos. Rien ne change. Toujours cette fatigue.

Ma généraliste me voit et me propose tout de suite une prise de sang. Nous préparions un voyage au Québec. J’allais réserver les billets d’avion, mais j’ai décidé d’aller faire ma prise de sang avant. 

L’hôpital me rappelle. Il y a un souci avec votre prise de sang. Nous devons recommencer. Je retourne immédiatement. Il y a un souci ? Non, c’est une infirmière qui a fait une erreur. Il n’en était rien. Mais déjà on « protège » le patient. 

J’attends un peu et j’appelle mon épouse. Ils doivent me donner les résultats en fin d’après-midi. 

Vous verrez c’est six mois de galère et puis ça ira. Il n’en savait rien du tout le médecin. Et ce n’est pas six mois de galère. Certains médecins ne savent pas parler à leurs patients. Les écouter ? Souvent encore moins.

La nouvelle tombe en fin d’après-midi. Mon épouse et moi sommes très inquiets. Puis abasourdis, sidérés. Le médecin nous dit : voilà c’est une leucémie. Leucémie Myéloïde Aigüe IV avec mutation du chromosome 16. LAMIV Chr16. On soigne ça bien maintenant. Vous verrez c’est six mois de galère et puis ça ira. Il n’en savait rien du tout le médecin. Et ce n’est pas six mois de galère. Certains médecins ne savent pas parler à leurs patients. Les écouter ? Souvent encore moins.

Docteur que devons-nous faire ? Vous prenez votre brosse à dents et votre pyjama et vous allez à Bordet tout de suite, je vous écris un mot.

Nos enfants sont chez des amis. Comment allons-nous leur parler ? Comment faire ? 

Le médecin de Bordet demande rapidement une analyse de moëlle pour confirmer le diagnostic. Nous préviendrons nos enfants dès que ce sera sûr. 

Mon épouse et moi, nous faisons face. On se dit, on va surmonter ça comme on a surmonté d’autres problèmes dans le passé. On y arrivera, c’est sûr.

Je fonctionnais mais mon cerveau s’était arrêté de penser envahi par cette pensée terrible : j’ai un Cancer.

Je me souviens avoir été chercher une brosse à dents neuve dans un commerce du quartier. Je déambulais dans les rayons en me disant : c’est peut-être la dernière fois que je viens ici. J’étais perdu. Je fonctionnais mais mon cerveau s’était arrêté de penser envahi par cette pensée terrible : j’ai un Cancer.

Comment se sont passés les traitements ?

J’ai eu trois sessions de chimiothérapie pendant trois mois. Un retour de quelques jours à la maison entre les sessions. Attendre dans cette chambre d’hôpital. Ne pas pouvoir sortir. Les visites très rapidement se font avec des masques. Beaucoup de choses passent par le regard. Je percevais l’inquiétude de ma famille, de ma femme, mes enfants. J’étais terriblement désemparé. Je n’étais pas présent pour les épauler, les soutenir. 

Les visites très rapidement se font avec des masques. Beaucoup de choses passent par le regard. Je percevais l’inquiétude de ma famille, de ma femme, mes enfants. J’étais terriblement désemparé. Je n’étais pas présent pour les épauler, les soutenir.

La leucémie a ceci de particulier c’est l’isolement. Les globules blancs sont défaillants donc on les diminue. Et on doit rester dans sa chambre. Ne pas sortir. Voir ses proches avec des masques. 

Puis les chimios qui assomment. Petit à petit. Elles font vaciller les certitudes sur la vie, le futur. Des coups de boutoirs répétés qui m’affaiblissent terriblement. La fatigue qui s’insinue. Qui coule à travers mes veines. Les nausées lancinantes, le dégoût. La honte d’avoir un corps qui change, qui est défaillant. La honte et la culpabilité de ne pas être présent près de ma famille. J’imagine la détresse de mon épouse qui doit en plus s’occuper seule des enfants. Insupportables pensées. 

La honte et la culpabilité de ne pas être présent près de ma famille. J’imagine la détresse de mon épouse qui doit en plus s’occuper seule des enfants. Insupportables pensées.

Et aussi ces questions sans réponse : pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour que ça m’arrive ? Le corps médical qui n’a pas de réponse. La psy qui s’occupe de moi non plus.  Tout le monde s’occupe de moi. Mais la maladie, ça touche un entourage, une famille qu’on a fondée, des frères, des sœurs, des parents. Là le gouffre est béant, profond. Une blessure tellement visible, tellement énorme. Mais qui pour s’en occuper ? 

Après trois mois, c’est terminé. Vous êtes en rémission complète monsieur. C’est là que ça commence. La convalescence. Qu’on peut relâcher la tension. J’ai tenu pendant l’hospitalisation. Je suis à la maison. J’espérais tellement y être, je voulais tellement y être. 

Nous sommes seuls, les médecins sont partis. Le traitement médical est terminé. Vous devriez être content, vous êtes guéri. Pourtant, c’est là que ça commence. Essayer de remettre de l’ordre. On a maltraité mon corps, mon âme pendant des semaines et puis plus rien. Un paysage dévasté. Que s’est-il donc passé ? J’étais sonné. 

Le traitement médical est terminé. Vous devriez être content, vous êtes guéri. Pourtant, c’est là que ça commence. Essayer de remettre de l’ordre.

Je ne me rends pas compte. J’ai eu un cancer. Des amis qui passait à l’hôpital. Tous les jours j’avais une visite. Et puis le retour à la maison. Moins de monde. On va te laisser te reposer maintenant. 

Je me remets doucement. Une grosse fête : celle de la rémission complète. La fête de la R.C. Plein de monde, d’émotions. Ma femme est à la manœuvre. Je suis encore sonné, mais je reçois ça comme un cadeau. Précieux.

Épisode 2 fin 2012

La leucémie revient.

Cette fois-ci, ce sera la greffe de moelle. Assez vite ma petite sœur est compatible comme donneuse. Je vais donc recevoir du sang féminin ! Les chimios préalables à la greffe sont terribles. Pas vraiment chouette en fait. Je suis épuisé. Ma femme et mes enfants sont à nouveau replongés dans un bain de terreur, d’inquiétude… Et moi je me sens impuissant, je voudrais tellement les aider et je ne peux rien faire.

Une nouvelle fois je vais rater la fête de l’école. Rater la pièce de fin d’année primaire. Le summum avant de rentrer au secondaire (12 ans). 

Je craque. J’en ai marre. Cette répétition de chimios, isolement me laminent. 

Je dois rester dans ma chambre isolée une nouvelle fois. Longtemps. Tellement fatigué et ne rien pouvoir faire. Lire est au-dessus de mes forces. L’isolement est encore plus strict. Je vois mes proches à travers la fenêtre, je les entends par téléphone.

Heureusement, les visites m’aident. Elles sont nombreuses. Tous les jours. Ma femme qui me téléphone tous les soirs.

Heureusement, les visites m’aident. Elles sont nombreuses. Tous les jours. Ma femme qui me téléphone tous les soirs. Seule à galérer avec les deux enfants. Avec pour elle cette angoisse permanente : va-t-il survivre, que va-t-il arriver de nous s’il meurt ?

Je sors enfin début avril 2013. Je reprends le travail en 2014. De nouveau tout remonter. Essayer de me reconnecter à ce monde qui m’est devenu étranger. Une inquiétude perpétuelle qui plane. La perte de l’insouciance. 

J’ai perdu cette légèreté. J’essaie de la retrouver, d’être comme avant. Mais ça ne marche pas. Je comprends maintenant que c’est vain. La maladie nous a laissé cette empreinte indélébile.

Épisodes suivants

Diverses maladies liées à mon immunité déficiente suite à la greffe. (Mononucléose, CMV, etc.)

Une première maladie chronique la GVH. La greffe a pris, mais j’ai des réactions d’incompatibilité partielle et légère qui m’obligent à prendre des médicaments (immunosuppresseurs, cortisone, …). Mes yeux encaissent.

Plus tard encore, une double embolie pulmonaire massive. Conséquence : une autre maladie chronique qui m’invalide : mes poumons ont en pris un sale coup. Deuxième maladie chronique. 

Opération de la cataracte associée à des problèmes intestinaux massifs. Un mélange de stress et GVH. La perte de l’insouciance continue et s’installe bien.

Décembre 2017 : Gros problèmes de sciatique. Pompe à morphine.  Douleurs intolérables. Avec comme surcouche, une maladie infectieuse grave compte tenu de mon immunité faible une cellulite. On frôle la septicémie. Je ne sais plus marcher. Revalidation. Mon couple bat de l’aile. On a encaissé. Beaucoup. Beaucoup trop. C’est trop dur pour tous les deux. On prend distance. Nous n’habitons plus ensemble. Nos rêves de vie paisible à deux volent en éclats. Chacun de nous est blessé. Fort. Nous nous replions.

Mon couple bat de l’aile. On a encaissé. Beaucoup. Beaucoup trop. C’est trop dur pour tous les deux. On prend distance. Nous n’habitons plus ensemble. Nos rêves de vie paisible à deux volent en éclats. Chacun de nous est blessé. Fort. Nous nous replions.

Mars 2018 : ça fait 5 ans que j’ai eu ma greffe. Un cap. En plein marasme, une étape de franchie.

Été 2019 : un an sans gros soucis médicaux. 

Comment ont réagi tes proches à l’annonce de ton cancer ?

Tout le monde était crédule à l’annonce de mon cancer. 

Ma femme et mes enfants ont fait front. Elle s’occupait sans cesse des enfants, les protégeant au mieux.

Les réactions étaient diverses. Du soutien massif à la prise de distance.

Chacun se positionne là où il est à un moment donné. Certains étaient distants car ils étaient envahis par des soucis personnels. Lors de ma rechute en 2012-2013, ils ont été très présents.

Est-ce que le Cancer a eu des conséquences sur ta vie sociale ?

Difficile pour moi d’aller dans un nouveau groupe sans que le sujet n’arrive sur la table. J’ai l’impression que je dois me taire.

Comme dans la vie avec le temps, je me suis rapproché et éloigné de certains. Des allers retours d’amitié. Difficile pour moi d’aller dans un nouveau groupe sans que le sujet n’arrive sur la table. J’ai l’impression que je dois me taire. Parfois je parle : j’ai eu un cancer. Parfois des malaises chez les personnes qui posent des questions.

Et sur ta vie professionnelle ?

Super équipe. 11 mois d’hôpital depuis 2011 et 22 mois de convalescence. Là où certains voyait de la faiblesse, d’autres me disent qu’ils sont admiratifs devant mon courage. Je reprends ceux qui me disent que j’ai “vaincu” le cancer. C’est une bataille qui laisse des traces. Indélébiles. Mais on vit quand même. Différemment. Plus jamais comme avant. 

J’ai toujours mon poste. Je travaille 4 jours sur 5 par semaine. Je m’y plais beaucoup.

J’ai monté un groupe d’aide aux réfugiés d’un parc bruxellois. D’un groupe de trois personnes on est maintenant à plus de 50. On prépare des sacs pique-niques (150) qu’on va leur apporter un mercredi sur deux. Je participe aussi à une aide à l’hébergement des réfugiés. Leur sort me semble tellement proche du mien. Hébétés. Ayant tout perdu. Je ne pouvais pas rester sans rien faire. J’ai fait donc. Tendre la main.

 Je me suis aussi inscrit à une formation de transformation sociale. Un nouveau programme en Belgique.

Quel conseil ou quel message aimerais-tu faire passer à une personne qui vient d’apprendre qu’elle a un Cancer ?

Se faire aider, demander de l’aide. Tant pour soi que pour ses proches.

Après on peut lire des livres qui réparent : Claire Marin, la rupture (La relève). Cynthia Fleury : Le soin est un humanisme.

Et quels conseils aimerais-tu donner aux proches de personnes atteintes d’un Cancer ?

Le malade est entouré, mais qui s’occupe de vous ? Prenez bien soin de vous.

Faites-vous aider. Le réseau des aidants. Faites entendre vos difficultés. Le malade est entouré, mais qui s’occupe de vous ? Prenez bien soin de vous.

Il paraît que tu as comme projet de créer un espace de parole : Tu peux nous en dire plus ?

Oui, un café cancer en vrai avec des vraies personnes. Pour se réparer du traumatisme de l’atteinte, de la honte, de l’impuissance. Parler entre personnes qui ont vécu la même chose. J’aimerais m’inspirer des travaux de Tourette-Turgis sur le care et Cynthia Fleury. Un groupe de pairs soutenu par un professionnel psy. 

Pouvoir se redonner de la fierté, échanger et identifier des vécus communs. En faire quelque chose. Pour aider ceux qui sont en plein dedans, pour les entendre. Quand on a vécu quelque chose comme ça, on a une expertise technique, humaine. On n’est pas obligé de la perdre. Elle peut être précieuse pour d’autres.

Être un homme et avoir un Cancer, qu’est-ce que tu peux nous en dire ?

C’est aussi difficile que pour une femme. Pour certains, c’est l’impuissance qui prédomine : je ne suis pas là pour aider mes proches qui sont en difficulté. Un sale coup pour la fierté. Les soucis après le cancer. La virilité qui se voit remaniée. Une autre image de la masculinité. Suis-je encore un homme ? Si oui, quel homme ? Je pense qu’on est encore un homme, mais on doit inventer quelque chose. Les groupes de femmes qui ont un cancer du sein sont plus visible, sans doute parce qu’elles sont plus nombreuses. La parole se libère plus facilement ? 

La virilité qui se voit remaniée. Une autre image de la masculinité. Suis-je encore un homme ? Si oui, quel homme ?

Est-ce que la pudeur de certains hommes est en jeu lorsqu’ils se murent dans le silence ? Je suis encore en pleines interrogations sur ce sujet. 

Le cancer, c’est la grosse galère. Pas rien que pour soi. On peut se faire aider. Des fois on accepte son sort, des fois on est révolté, on pleure, on crie à l’injustice. C’est très bien tout ça. On est des êtres humains pas parfait. On ne doit pas essayer d’être parfait. Faire de son mieux un jour, être dans le 36ème dessous un autre jour. 

Pour moi aller vers les autres m’aide, sortir de ma zone de confort. Ne pas me faire enclaver par la, les peurs de rechute, de mort. Continuer à prendre des risques. Se prendre des baffes dans la figure. Se relever. 

leucemie

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